Un problème français : la faible inclusivité de l’école et ses effets sur l’emploi et la dynamique économique (étude MEL)

Rencontre avec Olivier Verhaeghe, fondateur de My Better Job, et Auteur de

Métropole européenne de Lille – Bonnes pratiques du marché de l’emploi en Flandre (Belgique) : analyse et modalités de reproductibilité dans la métropole lilloise

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En osant une analyse comparative de la situation métropolitaine par rapport à la Flandre belge, la MEL prend-elle des risques ?

Oui ! Celui de découvrir les atouts et les bonnes pratiques flamands qui font que notre voisin est une région de plein emploi, de haut niveau de productivité et développement humain, très ouverte à l’international.

Chez nous, malgré les dispositifs d’accompagnement, le chômage de longue durée, la paupérisation des quartiers, mais aussi le manque de main-d’œuvre dans les métiers qualifiés (dans l’industrie ou le numérique en particulier) sont des freins au développement.

En demandant à Olivier Verhaeghe et Catelijne Cloutour de repérer les facteurs qui influencent la réussite de nos voisins, la MEL prend le parti de pointer nos forces et faiblesses françaises, et de questionner sa propre action.

Les questions posées par la MEL semblent simples : comment les rôles entre Economie-Emploi-Formation se répartissent-ils en Flandre? Comment les acteurs coopèrent-ils ?

Comment anticipent-ils les besoins des entreprises ? Plus largement, quels sont les atouts spécifiques de la Flandre, qui lui permettent de ne pas être concernée par le chômage?

-Grâce à une excellente formation initiale, à la dynamique économique qu’elle permet et à la confiance qu’elle nourrit peut-on résumer.

Depuis plus de cinquante ans, en Flandre, la population elle-même et « sa » Région (l’Autorité flamande) ont fait de l’acquisition et du développement des compétences un objectif constant.

Simplicité du pilotage public, écoute des besoins en compétences des entreprises et une forte responsabilisation des acteurs de terrain se sont mutuellement renforcées.

Le partenariat entre acteurs du développement et une grande ambition économique internationale font le reste.

Enfin, les auteurs de l’étude pointent le pragmatisme flamand dans la recherche de solutions.

Bilan, la prospérité flamande saute aux yeux.

Repérer les bonnes pratiques, les adapter à notre réalité institutionnelle, telle est donc la volonté de la MEL à l’origine de cette étude.

 

Quelle était la commande de la MEL ?

La première question était pourquoi la Flandre belge est à 3% de chômage le long de la frontière quand, chez nous sommes à 11,9%.

Nous vivons dans le même espace, un territoire au passé économique remarquable.

Notre dynamisme commun remonte au XII° siècle, nous avons une longue histoire de savoir-faire commercial puis industriel, nos productions ont inondé le monde dès le moyen-âge mais de ce côté-ci, malgré des réussites entrepreneuriales, nous n’arrivons pas à nous remettre du choc de la fin de grands secteurs industriels de la seconde moitié du XX° siècle.

Quand des difficultés économiques se prolongent pendant 60 ans, elles n’ont plus rien à voir avec les crises sectorielles qui les ont déclenchées.

D’où vient ce problème de moteur socio-économique ?

Pendant six mois, nous avons étudié les causes de la performance flamande. Nous avons examiné ensuite la question essentielle : cette réussite est-elle reproductible chez nous ?

 

Comment avez-vous réussi à traiter ce sujet avec un œil neuf alors que vous observez le développement économique de la région depuis plus de 20 ans ?

Nous avons voulu partir d’une page blanche en analysant d’abord les données européennes pour repérer ce qui prédisposait une région à un taux de chômage plus ou moins élevé.

Cette analyse a comparé 300 territoires, développés et ayant des coûts de main d’œuvre ou des niveaux de fiscalité certes inégaux mais où la main d’œuvre est plutôt coûteuse.

Puis nous avons rencontré les acteurs de l’emploi en Flandre belge : le VDAB -qui correspond à Pôle Emploi-, l’Autorité flamande – que l’on peut comparer à un Land allemand-, des organisations professionnelles, des syndicats de salariés, des chefs d’entreprises.

Enfin, nous nous sommes nourris d’autres travaux : dans le projet 2017-2027 sur l’état de la France, France Stratégie pointe les enjeux de la prochaine décennie : les besoins de formation initiale de base, la mobilité des jeunes, l’accès à l’enseignement supérieur ; France Stratégie a également mené une étude sur les facteurs explicatifs de la mobilité sociale, qui montre le rôle décisif joué par l’offre locale d’enseignement supérieur.

Très vite, nous avons repéré que sur un territoire donné l’entrée compétence est beaucoup plus structurante que le dynamisme économique pour expliquer les écarts de chômage.

Ce qui est en jeu, c’est surtout la capacité de la formation initiale à mener tous les jeunes à un niveau qui leur permettra de poursuivre des études jusqu’à un diplôme « valorisable » sur le marché du travail.

Il ne s’agit pas forcément d’études longues, beaucoup de diplômes sanctionnant des études courtes sont très reconnus par les entreprises ; ce qui compte c’est de ne laisser personne sur le bord du chemin, sans un bon niveau de maîtrise des compétences de base (lire, écrire, compter, prendre des initiatives, coopérer etc) et sans un diplôme reconnu.

La caractéristique la plus associée au chômage de masse, c’est le poids de la population sans diplôme, pas le niveau moyen de formation.

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Est-ce à la MEL de se poser cette question-là alors que d’autres acteurs et Institutions sont compétents en matière d’enseignement, de formation ou d’emploi ?

La MEL est compétente, avec la Région, en matière de développement économique.

Or, la possibilité de trouver les compétences nécessaires à son développement est vitale pour une entreprise.

La MEL soutient l’enseignement supérieur, elle participe à la définition des politiques locales d’emploi ou de formation en soutenant des structures locales dédiées.

Concrètement, la MEL est l’échelle de la proximité, et donc du marché du travail, autrement dit le territoire où on vit et où on travaille.

Il peut être plus ou moins grand selon l’individu et son niveau de formation, son degré de mobilité, sa situation familiale mais il y a une vraie échelle territoriale pertinente.

Dans la métropole, elle coïncide avec l’arrondissement de Lille c’est-à-dire le territoire de la MEL.

Enfin, la MEL soutient, à juste titre, des actions d’information sur les métiers et les formations pour les jeunes et leurs familles.

Le droit français a mis en place un système complexe où les responsabilités sont artificiellement réparties : l’Etat a en charge l’emploi mais les Missions locales et les PLIE y participent, tout comme Pôle emploi ; les branches et les entreprises elles-mêmes assument la formation continue et l’apprentissage ; la Région le développement économique, mais les intercommunalités y contribuent, elle continue à soutenir l’apprentissage et vu notre retard elle a raison de le faire ; la formation des demandeurs d’emploi met aux prises Pôle emploi, l’Etat, la Région, les branches ; l’insertion et les politiques scolaires font entrer Département et villes dans la danse.

Nous avons eu récemment des débats sibyllins sur le découpage de l’orientation entre Région, Etat, branches professionnelles.

Je ne sais pas si les juristes s’y retrouvent encore mais on a perdu la population et les entreprises depuis longtemps.

A ce niveau d’enchevêtrement, il faut revenir aux fondamentaux : qu’est-ce qui fonctionne vraiment ?

En Flandre, le débat qui fait quoi n’a pas sa place.

Sur son site internet, le VDAB publie des informations chaque année sur l’accès à l’emploi des diplômes locaux. Ce n’est pas tout à fait leur travail, ils le font.

Bilan, l’information est partagée et aide aux choix d’orientation des jeunes et à l’évolution de l’offre des formations par les écoles, dans chaque agglomération.

En France, cette information n’est pas disponible.

Le cas flamand rappelle l’évidence de façon radicale : la simplification au maximum de l’organisation administrative est un facteur d’efficacité inégalable.

Les Flamands nous montrent que le dialogue le plus important c’est celui entre les opérateurs : entreprises, représentants de salariés, financeurs de la formation, écoles et centres de formation.

La meilleure façon de se parler, c’est d’éviter de passer trop de temps à le faire entre institutions

Cette quasi-boutade est-elle déjà l’amorce d’une réponse à la question qui vous était posée ?

L’organisation administrative flamande est simple.

Le volontarisme de l’investissement dans les compétences s’est imposé comme une évidence.

Relevons aussi la qualité du dialogue social, entre partenaires qui partagent cette priorité et la nécessité d’une réponse précise aux besoins locaux.

Quand ils évoquent le « lobbying » -un mot infréquentable en France- ils l’assument totalement.

Même les syndicats de salariés disent en faire auprès de la Région pour faire évoluer l’offre de formation au plus près des besoins locaux ; ils le font avec les représentants du patronat, leur chambre de commerce/syndicat patronal et VDAB.

A chaque question, ils tentent une réponse ; si ce n’est pas la bonne, ils en changent et généralisent ce qui fonctionne.

Certains acteurs du développement économique français y verront un raisonnement éloigné de la vision stratégique.

Je pense que c’est la définition même du pilotage stratégique, d’une bonne « gouvernance locale » et que c’est très vertueux.

Comment cela se traduit-il concrètement ?

La population flamande a un niveau de qualification très supérieur au nôtre grâce à cette capacité à produire des compétences pour tous.

Les professions intellectuelles supérieures sont la catégorie socio-professionnelle la plus représentée ; elles n’arrivent qu’en troisième position dans l’arrondissement de Lille.

En Flandre occidentale, il y a huit fois plus de travailleurs indépendants que dans le territoire de la MEL, pour la même population.

La qualification de la population stimule l’entrepreneuriat ; à l’international, les entreprises flamandes se différencient par l’innovation technologique, le design, la capacité d’exportation, alors qu’elles relèvent de secteurs d’activité globalement traditionnels (agroalimentaire, mécanique-métallurgie, textile).

Elles le doivent aux compétences de leurs salariés.

En résumé, la compétence permet l’initiative économique, soit par l’entrepreneuriat soit dans les PME, ce qui stimule l’activité et la compétitivité des entreprises, le développement de l’emploi et l’élévation du niveau de vie via des salaires et un chômage quasi-nul.

Ce cercle vertueux développe la confiance de la population en son avenir individuel et collectif.

C’est un puissant facteur d’identification au territoire et d’envie d’y vivre et de participer à son développement. On parle souvent du rôle de l’identité flamande dans le développement économique de cette région : c’est important mais quand toute une population est ainsi « armée » professionnellement, cela joue davantage dans la réussite collective que le souvenir de la bataille des éperons d’or, sans manquer de respect à la bravoure des milices communales flamandes…

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Et chez nous ?

Regardons la gestion de l’après charbon ou la fin du textile : les gouvernements nationaux ont favorisé le remplacement du tissu économique (en amenant l’automobile dans l’ex-Bassin minier par ex.) mais ils n’ont pas fait de la formation la priorité des priorités.

Or, qu’adviendra-t-il quand l’industrie automobile sera en crise ?

Face à la faible qualification des populations, face au décrochage scolaire, au faible taux de participation des jeunes à la formation, il faut avoir une vision à cinq, dix et vingt ans.

Or, l’accès de tous les jeunes à un bon niveau de formation et à un diplôme insérant, la pertinence de l’offre de formation post-bac, le développement de l’enseignement supérieur ne sont pas identifiées comme les priorités absolues.

Sur le territoire de la MEL, il y a sept Maisons de l’Emploi (MDE) en cohérence avec un découpage de petits regroupements de communes qui n’ont aucune signification en terme de marché du travail.

Une seule MDE constamment à l’écoute des acteurs de terrain, étroitement intégrée à l’action d’une MEL, elle-même partenaire étroit des branches, de l’Etat et de la Région suffirait.

On perd en pertinence, en cohérence et en efficacité.

Nous n’espérons pas un big-bang administratif mais recommandons une organisation simple visant, empiriquement, une connaissance précise, constamment actualisée, des besoins de compétences et menant une action continue de concertation avec Etat, Région et Branches pour l’adapter l’offre locale.

Cela suppose aussi un effort massif d’information des jeunes et des familles sur les métiers et les formations, que seule la MEL peut déployer.

Enfin, la mise en place d’une politique enfance, petite-enfance et soutien scolaire très volontariste nécessite un appui très fort de la Métropole aux Communes et à l’école.

Vous parlez d’objectif à cinq, dix ou vingt ans. On est loin du rythme des élections…

 

C’est ce type de raisonnement qui fait que nous en sommes là aujourd’hui !

Penser à vingt ans, est nécessaire pour créer une inflexion.

Les actions structurantes ont des effets à long terme mais il faut oser ce long terme.

À cette échelle de temps, on peut développer l’égalité des chances, la confiance en soi de chacun des habitants et de tous dans l’avenir économique du territoire.

Il faut concentrer l’effort sur les plus jeunes pour préparer leur scolarisation, tout en renforçant la prévention du décrochage et de l’échec scolaires par un suivi des enfants et un soutien à leurs familles.

La formation initiale et l’orientation doivent être plus efficaces pour tous.

En lançant la GPEC, la Gestion Prévisionnelle des emplois et des Compétences territoriale, la MEL va préparer la montée en compétence de toute la population et ainsi des entreprises.

La mobilité professionnelle des habitants, leurs capacités accrues, leur aptitude à coopérer amplifieront le renouveau du tissu productif et industriel, car il y a évidemment un avenir pour l’industrie, les Flamands et d’autres régions françaises le prouvent.

Si on garde le cap sur ces priorités, dans vingt ans, les jeunes actifs seront très « employables », auront davantage l’esprit d’initiative et plus de confiance en eux-mêmes et dans leur propre région.

Qui portera cette politique ? Faut-il un homme ou une femme providentiel.les ?

 

L’attendre, c’est se condamner à la déception ; le vrai sujet, c’est qui fait quoi ?

Il faut créer les conditions du partenariat efficace et réactif dans la durée. Des territoires l’ont fait, en Vendée par exemple, en Flandre on l’a vu.

Un meilleur fonctionnement d’institutions comme l’Ecole serait bienvenu : mettre les bons enseignants là où il y a le plus de difficultés, soutenir la motivation des plus impliqués, diffuser les bonnes pratiques pédagogiques de façon systématique, rapprocher l’école du marché du travail et des entreprises.

Ces changements échappent à l’échelle métropolitaine ou régionale.

Tout ce qui peut être tenté en fait de partenariats avec l’enseignement doit l’être mais nous ne sommes pas en Flandre.

L’impulsion peut aussi venir d’acteurs non institutionnels.

Les réseaux sont nombreux qui favorisent l’entrepreneuriat et beaucoup sont nés ici.

D’autres pourraient, en se développant, intervenir sur la question de la petite enfance, du soutien scolaire ou de l’orientation.

Il faut que tous les acteurs s’adaptent à des partenariats nouveaux et à un développement considérable des politiques de petite enfance et de soutien péri-scolaire.

Pour améliorer l’orientation, les entreprises devraient jouer à fond le jeu du réseau d’ambassadeurs « Proch’orientation » créé par la Région et ouvrir leurs portes aux écoles.

De même, elles doivent recourir de plus en plus à l’apprentissage ; si elles ne le font pas, qui les écoutera quand elles parleront de difficultés de recrutements ?

Les équipes enseignantes elles-mêmes devront se saisir de ces liens avec l’extérieur pour atteindre l’objectif commun : l’accès de tous à la capacité d’apprentissage tout au long de la vie.

Le rôle des institutions et particulièrement de la MEL, de la Région et du Rectorat doit être d’accélérer cette ouverture et de faire en sorte que les inerties ne priment pas sur la réponse aux besoins.

Il y a dans la métropole toutes les ressources pour la réussite économique du territoire.

Des succès comme Euratechnologie, Eurasanté, nous le prouvent… mais leur impact devrait être plus important au regard de la population et de son potentiel.

Nous manquons d’ingénieurs, de grandes écoles malgré le poids académique de la métropole…

La Flandre a pris conscience de ces enjeux il y a cinquante ans.

Elle a ont relancé le développement en comprenant que formation, compétences, innovation, compétitivité et employabilité sont liées.

Il y a aujourd’hui quatre fois plus de Recherche et Développement dans les entreprises en Flandre que dans le Nord-Pas de Calais.

Il n’y a aucune fatalité à ce que nous vivons depuis 60 ans ; c’est à nous, la population régionale et métropolitaine d’accomplir ce relèvement.

C’est ce changement qui a créé la réussite flamande, pas les miracles extérieurs.

Décembre2019, propos recueillis par Luc Hossepied

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